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Cellules souches, développement et évolution

Eve GAZAVE

Notre équipe étudie l’évolution des cellules souches et la régénération chez les animaux. Le principal modèle biologique étudié par l’équipe est le ver annélide Platynereis dumerilii, une espèce modèle émergente pour les études du développement et de l’évolution. Nous caractérisons, à l’aide d’une grande variété d’outils moléculaires, cellulaires et génomiques, les étonnantes capacités de régénération de cet animal, dans le but général de déterminer, par des analyses comparatives, si la régénération chez les animaux repose ou non sur des mécanismes et des programmes génétiques conservés. En utilisant une combinaison d’approches expérimentales et in silico, nous cherchons également à comprendre comment les cellules souches impliquées dans le développement, la croissance et la régénération ont évolué chez les animaux.

Mots-clés : Régénération, cellules souches, évolution, annélides, épigénétique, génomique comparative, développement, cellules germinales, pluripotence, reprogrammation cellulaire, croissance.

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Les cellules souches, qui ont à la fois la capacité d’auto-renouvellement et de production de cellules différenciées, sont des acteurs clés du développement embryonnaire chez les animaux. Ces cellules sont également impliquées dans des processus post-embryonnaires comme la croissance, dans l’homéostasie des tissus, ainsi que, chez certains animaux, dans la reproduction asexuée et la régénération. La régénération, la capacité de restaurer des parties perdues ou amputées du corps, est un phénomène très répandu chez les animaux. Bien que cette capacité soit très limitée chez les mammifères, de nombreux animaux (tels les éponges, les cnidaires, les planaires, les annélides et les salamandres) sont capables de régénérer des structures complexes, leurs membres par exemple, et dans certains cas la totalité de leur corps à partir d’un petit morceau de tissu. La régénération est souvent basée sur la présence de populations de cellules souches, soit pluripotentes et donc capables de régénérer tous les tissus du corps, soit multipotentes et donc avec des potentialités plus restreintes. La régénération peut aussi dépendre de phénomènes de dédifférenciations cellulaires locales par lesquels des cellules différenciées sont reprogrammées en progéniteurs ou cellules souches prolifératives.

Notre équipe cherche à comprendre l’évolution des cellules souches et de la régénération chez les animaux. Notre principal modèle d’étude pour aborder ces thématiques est l’annélide marine Platynereis dumerilii (Figure 1).

Figure 1 : Platynereis dumerilii et son cycle de vie. (A) Vue dorsale de la tête de l’adulte. (B) Vue ventrale de la partie postérieure de l’adulte. (C) Cycle de vie. Les photographies en (A) et (B) ont été faites par le Dr. Nicolas Dray (CNRS). Le schéma en C est adapté de Demilly et al. 2013.

Les annélides appartiennent aux lophotrochozoaires, la troisième grande lignée évolutive des bilatériens, aux côtés des deutérostomes (vertébrés, échinodermes, …) et des ecdysozoaires (arthropodes, nématodes, …). Platynereis s’est révélé extrêmement précieux pour les comparaisons évolutives à grande échelle et se prête à des analyses moléculaires et fonctionnelles. Après le développement embryonnaire et larvaire, les vers Platynereis grandissent pendant la majeure partie de leur vie, en ajoutant séquentiellement de nouveaux segments dans la partie postérieure de leur corps, un processus connu sous le nom d’élongation ou croissance postérieure. Nous avons montré que cette propriété est liée à la présence de cellules souches putatives situées dans une zone de croissance subterminale (Gazave et al., 2013). Les cellules souches de la zone de croissance présentent une signature moléculaire (faite de l’expression d’une vingtaine de gènes) similaire à celle des cellules souches pluripotentes présentes chez d’autres animaux et à celle des cellules germinales primordiales.

Pendant leur phase de croissance, les vers Platynereis présentent également des capacités de régénération étendues. Après amputation, Platynereis régénère la partie postérieure de son corps qui comprend à la fois les structures différenciées de la partie la plus postérieure de leur corps et les cellules souches de la zone de croissance dont la prolifération permet le remplacement des segments amputés. Nous avons réalisé une caractérisation approfondie de ce processus de régénération, que nous avons appelé régénération postérieure (Figure 2) (Planques et al., 2019). Nous avons montré que la régénération est un processus rapide qui suit une chronologie bien reproductible, passant par des stades spécifiques bien caractérisés. La cicatrisation de la plaie est réalisée en 1 jour et un blastème de régénération se forme 1 jour plus tard. À ce stade, une certaine spécification tissulaire se produit déjà, et une zone de croissance postérieure fonctionnelle est rétablie dès le troisième jour après l’amputation. Nous avons également montré qu’une prolifération cellulaire intense se produit et est strictement nécessaire pour que la régénération se déroule normalement.

En plus de la région postérieure de son corps, les vers Platynereis peuvent également régénérer avec succès divers types d’excroissances corporelles, en particulier leurs appendices appelés parapodes. En revanche, Platynereis n’est pas capable de régénérer sa tête après une amputation. Alors que les vers peuvent survivre pendant plusieurs jours après l’amputation de la tête et qu’un blastème de régénération se forme, ce blastème antérieur ne produit jamais de structures différenciées de la tête (régénération avortée).

Figure 2 : Régénération postérieure chez Platynereis dumerilii. (Panneau supérieur) Images de microscopie à champ clair des 5 stades bien définis de la régénération postérieure. Les parenthèses mettent en évidence la région régénérée dont la taille augmente progressivement au cours des différentes étapes. (Panneau inférieur) Expression aux différents stades de la régénération du gène PCNA de Platynereis, un marqueur de la prolifération cellulaire, qui est exprimé tout au long de la régénération. Les images sont issues de Planques et al, 2019.

Figure 3 : Le marquage EdU met en évidence les cellules en prolifération chez Platynereis. Le marquage EdU (rouge) et la coloration nucléaire Hoechst (bleu) sont montrés. (A) Marquage EdU du ver entier avec incorporation d’EdU, pendant 5 heures, 1 jour après l’amputation (la partie antérieure du ver est à gauche). De nombreuses cellules EdU+ sont trouvées dans tout le corps. (B) Vue à plus fort grossissement de la partie postérieure du ver présenté en (A), mettant en évidence la présence de cellules EdU+ dans la région régénérée. (C) Partie postérieure d’un ver après un séjour de 48h dans de l’eau de mer normale. De nombreuses cellules EdU+ sont trouvées dans la région régénérée. Les images sont issues de Planques et al. 2019.

En utilisant une variété d’approches, nous cherchons à mieux comprendre les étonnantes capacités de régénération de Platynereis et à identifier les mécanismes conservés et les programmes génétiques qui sous-tendent la régénération chez les animaux. Nous étudions également l’évolution des cellules souches chez les animaux. Plus spécifiquement, nos projets de recherche s’organisent autour de cinq axes majeurs :

(i) Origine(s) et destin(s) des cellules du blastème de régénération chez PlatynereisNous avons obtenu des preuves que les cellules du blastème dérivent principalement de la dédifférenciation des cellules des tissus adjacents au plan d’amputation, qui commencent, peu après l’amputation, à exprimer des marqueurs de prolifération et de cellules souches pluripotentes, ce qui suggère que l’amputation induit une reprogrammation cellulaire importante vers une identité de progéniteur/cellule souche (Planques et al., 2010 ; Bideau et al., en préparation). Nous développons actuellement des approches de lignage cellulaire et de transcriptomique en cellule unique (single-cell RNA-seq) pour caractériser davantage le processus de dédifférenciation et évaluer l’identité et le destin des cellules du blastème.

(ii) Voies impliquées dans l’initiation et le contrôle de la régénération postérieure chez Platynereis. Nous testons l’hypothèse selon laquelle l’apoptose et la production d’espèces réactives de l’oxygène (ROS) peuvent être importantes pour déclencher la régénération, notamment en stimulant la prolifération cellulaire nécessaire à la régénération, sur la base des connaissances obtenues chez d’autres animaux ayant des capacités de régénération (revue récente dans Vullien et al., 2021). Nous étudions également le(s) rôle(s) potentiel(s) des voies de signalisation pendant la régénération et avons déjà identifié deux voies (Notch et Wnt/beta-caténine) qui sont nécessaires à une régénération correcte.

(iii) Comparaison des différents processus de régénération chez Platynereis. Nous souhaitons comparer les régénérations réussies (partie postérieure du corps et parapodes) et avortées (tête) afin d’identifier les mécanismes nécessaires à une régénération réussie. Dans ce but, nous avons commencé à caractériser la régénération des parapodes et de la tête au niveau moléculaire, cellulaire et transcriptomique, afin de comparer les données obtenues pour ces deux événements de régénération avec celles déjà obtenues pour la régénération postérieure.

(iv) Régulations épigénétiques pendant la régénération de Platynereis. Nous avons obtenu des données transcriptomiques qui indiquent qu’un grand nombre de gènes sont exprimés de manière différentielle pendant la régénération. Nous avons testé l’hypothèse selon laquelle les régulations épigénétiques peuvent être impliquées dans ces changements dramatiques de l’expression des gènes qui se produisent après l’amputation. Nous avons obtenu des preuves de l’implication de la méthylation de l’ADN et de certaines modifications des histones pendant la régénération (Planques et al., 2021 ; Schenkelaars et al., en préparation). Nous utilisons des approches épigénomiques (par exemple, ATAC-seq et Cut&Tag) pour caractériser davantage cette implication et identifier le réseau de régulation génique qui soutient la régénération chez Platynereis.

(v) Évolution des cellules souches chez les animaux. Nous avons précédemment montré que la croissance des vers Platynereis repose sur la présence de cellules souches postérieures qui expriment des marqueurs de cellules souches somatiques pluripotentes et cellules souches germinales (Gazave et al., 2013). Nous cherchons à définir si des cellules souches ayant une signature moléculaire similaire pourraient être présentes chez d’autres animaux qui allongent progressivement leur corps, comme le fait Platynereis. Dans ce but, nous avons commencé à étudier la croissance du corps chez un chordé, l’amphioxus Branchiostoma lanceolatum, et prévoyons également de caractériser la croissance chez les crustacés. Nous caractérisons également l’évolution des cellules souches chez les animaux en définissant et en comparant les signatures moléculaires d’une grande variété de cellules souches provenant de différents animaux à l’aide de données transcriptomiques publiées.